Brian Armstrong (Coinbase) : “Il nous a fallu trois ans pour conclure le partenariat avec BlackRock”
Historiquement centré sur les particuliers, Coinbase accélère désormais sur le segment institutionnel, des banques aux fintechs. Une mutation profonde qui accompagne la professionnalisation du marché… et expose les acteurs crypto à de nouveaux défis. À Abu Dhabi, Brian Armstrong nous a détaillé la stratégie du géant américain, son virage vers les institutions et sa vision d'une finance mondiale bientôt entièrement on-chain.
The Big Whale : Vous êtes à Abu Dhabi pour la Abu Dhabi Finance Week. Qu'est-ce qui vous amène ici et quelles opportunités spécifiques voyez-vous aux Émirats arabes unis ?
Brian Armstrong : Nous sommes très enthousiastes à l'idée d'investir davantage aux Émirats arabes unis. Le pays est devenu un hub mondial, à la fois pour les services financiers et, plus largement, pour la technologie.
Nous avons récemment acquis Deribit (pour 2,9 milliards de dollars, NDLR) , qui compte 130 collaborateurs dans la région. Nous travaillons étroitement avec l'Abu Dhabi Global Market, le régulateur d'Abu Dhabi, ainsi qu'avec celui de Dubaï.
Nous privilégions les pays où il existe une réelle clarté réglementaire autour des cryptos, et les Émirats ont été particulièrement innovants et visionnaires sur ce point. Ils défendent aussi des principes de liberté économique, ce qui correspond parfaitement à la mission de Coinbase.
Grâce à Deribit, les Émirats sont devenus notre hub international pour les produits dérivés, et il est très probable que nous renforcions encore notre présence ici.
Vous êtes une entreprise mondiale. Quel regard portez-vous sur l'Europe, notamment en matière de liberté économique et de dynamisme du marché ?
Nous voyons clairement l'Europe comme un marché de croissance. C'est une région dans laquelle nous nous sommes implantés très tôt, notamment via notre entité au Luxembourg, avec laquelle nous collaborons très bien. L'Europe a fait, à mon sens, un excellent travail en créant un cadre réglementaire clair avec MiCA. Cela nous a apporté énormément de confiance pour investir dans la région. Sur ce point, elle a véritablement été leader.
Mais il faut toujours trouver le bon équilibre entre régulation et liberté. La régulation apporte de la clarté, mais elle ne doit pas se transformer en sur-réglementation. Trop de contraintes découragent les entreprises d'investir et freinent la croissance. L'enjeu, c'est d'éviter de sacrifier l'innovation au nom de la protection.
Justement, où placez-vous ce juste équilibre entre la nécessaire régulation et la liberté économique ?
Pour moi, les choses sont assez claires. Il faut évidemment prévenir certains risques, comme la fraude, et les sanctionner sévèrement. C'est indispensable et tout le monde en convient.
En revanche, il ne faut pas chercher à éliminer le risque de marché. Le risque de marché, c'est qu'une grande partie des startups échouent. Et c'est sain : il faut permettre à 1 000 idées d'émerger pour avoir une chance d'être témoin de la prochaine grande entreprise. Si créer une startup devient trop compliqué, elles se créeront simplement ailleurs.
À ce titre, l'exemple des Émirats est très intéressant. Ils ont mis en place un “regulatory sandbox” qui permet aux startups de démarrer à très faible coût dans un environnement encadré. Une fois qu'elles atteignent une certaine taille, elles peuvent demander une licence complète.
C'est extrêmement intelligent, car une jeune startup qui n'a levé qu'un ou deux millions d'euros ne peut pas se permettre de payer des licences coûteuses et de gros cabinets juridiques. Ce type de dispositif serait très utile aussi en Europe.
Il y a 10 ans, le marché crypto était principalement retail. Aujourd'hui, on parle beaucoup plus de B2B. Comment voyez-vous cette évolution ?
Effectivement, la crypto est devenue à la fois un marché grand public et un marché institutionnel, et ce dernier a connu une croissance spectaculaire.
Cela se manifeste surtout dans deux domaines. Le premier concerne le trading et la détention d'actifs : de plus en plus d'entreprises souhaitent détenir des actifs numériques sur leur propre bilan. Et au-delà des cryptos, toutes les classes d'actifs arrivent progressivement on-chain : matières premières, actions, marchés de prédiction… Tout migre vers la blockchain. Demain, les entreprises voudront aussi lever des fonds directement on-chain.
Le second moteur, ce sont les paiements en stablecoins. Les paiements B2B transfrontaliers sont probablement l'un des segments à la croissance la plus rapide aujourd'hui. Coinbase y joue un rôle majeur : nous permettons aux entreprises de payer leurs fournisseurs à l'international, d'envoyer des factures, d'intégrer ces paiements avec leurs logiciels de comptabilité et de fiscalité.
Comme souvent avec la crypto, il s'agit de moderniser l'infrastructure financière : rendre les paiements plus rapides, moins chers et vraiment globaux.
On vous décrit comme quelqu'un très orienté “produit”. Comment le virage institutionnel a-t-il modifié votre approche ?
Dans le grand public, le produit est absolument central : c'est l'interface principale, souvent la première expérience utilisateur. Le service client n'intervient que lorsqu'il y a un problème, donc rarement dans un contexte positif.
Dans le monde institutionnel, le produit reste crucial, mais deux autres piliers deviennent déterminants : la force commerciale et le service client. Les interlocuteurs humains sont essentiels, encore plus dans la crypto.
Les cycles de vente sont aussi beaucoup plus longs. Pour donner un exemple, il nous a fallu trois ans pour conclure le partenariat avec BlackRock.
Aujourd'hui, nous travaillons avec certains des plus grands acteurs financiers mondiaux – BlackRock, JPMorgan, PNC Bank, et bientôt Standard Chartered. Nous avons développé une réelle expertise “go-to-market” pour ce segment, capable de gérer ces cycles longs et complexes. Et bien sûr, le produit doit suivre la même exigence.
Quelle est la plus grande difficulté pour travailler avec ces grandes institutions ?
Plusieurs éléments entrent en jeu. D'abord, la culture d'entreprise : les relations humaines sont essentielles. La conformité est un point clé, tout comme la solidité du bilan.
Le fait d'être une entreprise cotée, auditée par un cabinet du Big Four, d'être un custodian réglementé… tout cela compte énormément. Les diligences réglementaires sont très poussées, et c'est ce niveau d'exigence qui conditionne leur confiance.
Vous avez échangé avec Larry Fink sur la convergence entre TradFi et DeFi. Quel rôle voyez-vous pour Coinbase dans cette finance hybride on-chain ?
Je pense que Coinbase peut devenir le leader de la tokenisation. Nous en faisons déjà depuis longtemps : les stablecoins , les actifs “wrapped” comme le bitcoin tokenisé…
Le modèle est simple : conserver l'actif sous-jacent, puis "minter" et "burner" des tokens qui le représentent un-pour-un. La confiance est essentielle.
L'autre élément, c'est la distribution. Nous avons environ 500 milliards de dollars d'actifs crypto conservés sur notre plateforme. Quand des acteurs comme BlackRock souhaitent tokeniser leurs fonds, pouvoir distribuer directement ces produits à notre base clients – particuliers comme institutionnels – est un atout majeur.
Nous pouvons assurer la technologie, la conservation, la confiance… mais aussi offrir un canal de distribution extrêmement puissant.
Vous parlez souvent de faire de Coinbase “l'everything exchange”. Concrètement, que cela signifie-t-il pour les banques et institutions ?
L'idée est simple : toutes les classes d'actifs vont arriver on-chain. Après les cryptos sont venus les stablecoins ; demain, les actions, les matières premières, la dette publique ou corporate, les perpétuels… absolument tout sera échangé sur la blockchain.
Pourquoi ? Parce que cela démocratise l'accès, augmente la liquidité, réduit le risque de règlement-livraison et fait chuter les coûts opérationnels. Les banques et institutions vont vouloir exploiter ces nouveaux rails crypto pour rendre leurs opérations plus efficaces. Coinbase veut être leur partenaire privilégié.
Aujourd'hui, nous travaillons déjà avec 264 institutions via notre Coinbase Developer Platform (CDP), une offre de “crypto-as-a-service” en marque blanche.
Nous y ajoutons constamment de nouvelles briques. Ce rôle d'infrastructure nous place au cœur de la chaîne de valeur, à mesure que de plus en plus d'entreprises basculent on-chain.
Pour 2026, quels sont les axes les plus excitants pour vous ?
Nous avons un événement produit important le 17 décembre qui en dira beaucoup. Mais si je devais résumer les grandes tendances, je mettrais en avant trois piliers :
– l'“everything exchange”,
– les paiements en stablecoins,
– BASE, qui n'est pas seulement un layer 2 mais aussi une application, Base App. J'aime bien dire que Coinbase représente nos services centralisés et Base nos services décentralisés.
Comment voyez-vous l'intégration entre Coinbase et les grands acteurs financiers ?
Nous collaborons de plus en plus avec eux via nos offres d'infrastructure. Le fait de fournir nos propres fonds de liquidité nous permet de déployer nos services dans de nombreux pays beaucoup plus rapidement. Cela facilite l'onboarding client et l'intégration de fonctionnalités innovantes. Notre objectif : devenir la couche d'infrastructure crypto sur laquelle la finance traditionnelle peut bâtir.
Sur les trois à cinq prochaines années, quel sera selon vous le plus grand mouvement de fond de l'industrie crypto ?
L'arrivée de toutes les classes d'actifs on-chain. C'est un basculement structurel. Les paiements en stablecoins, en particulier, ont encore un potentiel colossal.
Aujourd'hui, environ 0,5 % du PIB mondial transite via des rails crypto pour l'achat de biens et services. Dans dix ans, cela pourrait atteindre 10 %, voire 15 %. Le champ de développement est immense.
Enfin, BASE restera un axe majeur : l'écosystème que nous construisons autour de cette layer 2 va jouer un rôle central dans l'adoption des usages on-chain.
Vous êtes dans l'écosystème depuis longtemps. Bitcoin reste-t-il un actif à part ?
Oui, Bitcoin est vraiment unique . C'est de l'or numérique : un actif rare, doté du plus haut niveau de confiance. En période d'incertitude, les gens se réfugient vers le bitcoin.
Bitcoin est aussi un actif de liberté. Nous vivons dans un monde de déficits permanents : lorsque ceux-ci deviennent excessifs, ils entraînent une forte inflation. Dans ces moments-là, Bitcoin agit comme un contre-pouvoir.
C'est un nouveau standard or, mais natif du numérique. Une monnaie saine est un fondement essentiel du progrès. Si votre monnaie peut être continuellement dévaluée, vous n'avez aucun intérêt à investir dans l'avenir. Bitcoin apporte cette solidité partout dans le monde.
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